10.12.06

Cette nuit...

Alors que nous rentrions de notre repas avec la famille Scrogn-Guinness dans le beau taxi que nous avions commandé (non pas au barbu en rouge, juste à la compagnie de taxis), nous avons eu l'immense plaisir de rencontrer un chauffeur de taxi plein de finesse et de doctes histoires.
Il nous en a raconté deux fort sympathiques que voici:
  1. Un couple très amoureux, d'un amour pur que la langue arabe dirait être un "amour âme à âme", rencontre un jour un génie qui leur dit "je suis jaloux de l'amour que vous avez l'un pour l'autre" et se tournant vers l'homme il ajoute "je vais transformer ta femme en oiseau mais tu pourras choisir le cycle de sa vie restante durant laquelle elle sera transformée en oiseau. Il lui reste à compter d'aujourd'hui 60 ans à vivre, à quel moment veux-tu qu'elle soit transformée".
    L'homme doit choisir si sa tendre aimée sera transformée durant 30 ans en oiseau puis les 30 années suivantes en tant que femme, ou bien 1 an, 1 mois, 1 jour, 1 demi-journée. Une fréquence qu'il doit choisir et qui durera toute sa vie.

    À sa place, que choisiriez-vous?

    JF et moi avions opté au départ pour une demie-journée et pour la nuit, afin de faire nos affaires humaines de jour et les affaires d'oiseau de nuit.
    J'ai par la suite opté pour une négociation avec le génie en demandant au préalable de pouvoir être transformée en oiseau en même temps que lui (sans doute un vieux relan de Ladybird qui m'avait un peu traumatisée!).
    Notre bon conteur nous a aussi fait part des réponses qu'il avait eu:
    • Une vieille dame de 75 ans avait proposé que l'amoureux soit transformé en oiseau durant les 30 dernières années de sa vie "pour ne pas avoir à dealer avec les maladies de la vieillesse".
    • Une jeune fille toute piercée avait dit que peu importait le temps, si c'était un amour véritable elle l'aimerait tout autant
    • Un homme pragmatique avait opté pour une transformation de nuit, afin que sa femme l'aide de jour à payer les factures
    • Un autre homme lui avait opté pour la journée en oiseau, afin que son adorée puisse le rejoindre le soir à ses côtés et lui raconter tout ce qu'elle aurait vu avec ses yeux d'oiseau dans sa vie diurne.

    Finalement, notre homme nous indique juste que cette histoire, il l'a inventée pour son fils et que la réponse qu'il avait donnée était la suivante:
    "L'homme répondit: demandes-lui à elle quand elle voudra être un oiseau. Moi je l'aime et je l'aimerai pareil, je ne peux pas faire ce choix à sa place, mais je peux continuer à l'aimer." Ainsi donc, si tu aimes tes amis, tu les aimes pour ce qu'ils sont et non ce que tu voudrais qu'ils soient. Laisses-les donc faire leur choix, tu ne les perdras pas pour autant.


  2. La seconde histoire se passe il y a très longtemps. Un peuple avait usé et abusé des bonheurs de ce monde et tous étaient blasés. Un conseil de sages se réunit pour discuter de la question et permettre de rendre au peuple un peu de bonheur. Il advint cependant durant ce concile que les hommes n'étaient plus aptes à apprécier le bonheur à sa juste valeur et qu'en être privés seraient sans doute plus bénéfique. On en vint donc à se deander comment cacher le bonheur et permettre seulement à ceux qui sauraient l'apprécier de le retrouver.
    Un sage proposa qu'on l'insère dans une chappe de plomb qui serait coulée au fond du profond océan. Le doyen des sages, et le plus sages d'entre eux, dit "Oui mais dans quelques siècles, les hommes auront inventé des machines pour aller sous l'eau et trouveront le bonheur sans avoir appris à l'apprécier. Nous déplacerons le problème dans le temps, mais nous ne le règleront pas".
    Un second sage se leva et proposa qu'on enterre le bonheur dans le désert. Personne n'irait chercher le bonheur dans le désert, où rien ne pousse ni ne vit. Mais le vieux sage eut une vision lui montrant les hommes dans des machines roulantes qui découvriraient le bonheur sans avoir appris à l'apprécier.
    Un troisième sage proposa que le bonheur soit envoyé sur la lune. Mais le vieux sage leur apprit que dans plusieurs siècles, les hommes auraient trouvé la technique de voler dans les étoiles sans jamais avoir appris à apprécier le bonheur.
    Comment feriez-vous vous pour cacher le bonheur et permettre à ceux qui sauraient l'apprécier de le trouver?

    Très pragmatique, je dis alors à notre chauffeur : je le briserai en autant de morceaux qu'il y a d'êtres humains et je l'insèrerai dans chacun d'eux. Et que chacun de nous porterait en soi le bonheur qu'il recherche et devra apprendre à apprécier le bonheur pour bénéficier de ce morceau en lui.
    La réponse finale est en effet celle-ci. Et il nous ajoute que le bonheur sera d'autant plus grand que nous saurons le partager à plusieurs et que les gens qui ne savent pas l'apprécier ne le trouveront jamais nulle part, quelle que soit la partie de la planète où ils iront.
    Fort à propos n'est-ce pas pour les immigrants que ce magnifique conteur et moi-même sommes?
À défaut de ne pouvoir le revoir et entendre encore une de ses histoires, je lui souhaite par le biais de ce billet d'avoir en lui tout le bonheur qu'il souhaite et de continuer à le partager ainsi au gré de ses courses nocturnes avec ceux qui sauront apprécier sa sagesse et son talent!