23.11.06

La parlure québécoise comparée... (1)

Hier, en pleine opération "Gardons les petits monstres endormis", je trouve dans la bibliothèque des parents d'Emma un ouvrage qui me laisse assez perplexe.
À la fois cohérent dans certains de ses propos et trop maudit français dans d'autres.
Ce livre c'est ... Le québécois de poche, méthode Assimil. Je lui pardonne le fait que la version originale soit allemande et que par conséquent les remarques sur certaines prononciations sonnent croches (tordues).
Cette version date de 1998, année d'immigration de la famille d'Emma, et porte en couverture un trappeur en chemise carreautée rouge (sic), tuque en fourrure de raton-laveur façon Davy Crocket (re sic), barbu roux aux yeux bleux.

Néanmoins, l'ouvrage commence par cette première considération pas banale pour les futurs arrivants au Québec: si "officiellement le Canada est un pays bilingue." où "l'anglais et le français se valent" (p. 5) et devraient se retrouvés également sur tout le territoire, dans les faits, plus vous irez vers l'Ouest et la douce Vancouver, moins vous pourrez vous servir et vous faire servir en français!
Cette première remarque affichée, nous pouvons donc ensembles découvrir les spécificités de la langue de Nelligan.

Prononciation:

La deuxième remarque judicieuse de cet ouvrage qui passe de mauvais goût à réflexion logique:
NE PAS TENTER DE PRENDRE L'ACCENT QUÉBÉCOIS DEVANT LES QUÉBÉCOIS.
D'abord parce que cela sonnerait tellement horrible que vous auriez juste l'air d'un gros Laurent Gerra débile, ensuite parce que vous les vexeriez et ce serait bien fait pour vous. Si un "Criss de maudit français" surgit à ce moment-là, vous pourrez pas pleurer qu'ils sont racistes...

- L'affrication: ce phénomène linguistique correspond à l'ajout d'un son [s] ou [z] après un t ou un d , selon une règle assez précise: uniquement avant un i ou un u.
"Que dis-tu?" deviendrait à peu près "Que dzi tsu?"
C'est néanmoins très subtil chez la jeune génération et JF n'a que guère cette manière de parler. Peut-être est-ce dû au fait qu'il soit madelinot (donc plus proche des Acadiens qui ont un autre accent).

- Les voyelles nasales diphtonguées: nos voyelles nasales telles que an, in, ei, etc. sont parfois doublées. On trouve ainsi: neige= neyge, banque=bawnque.

- Moi, Toi et Roi semblent (selon l'auteur de cet ouvrage) avoir conservé la prononciation d'avant la Révolution Française. Ainsi, ce bon Louis XIV aurait dit "le rwé c'est mwé".
On trouve par ailleurs en bande dessinée notamment mais ailleurs aussi une orthographe de moi, toi et roi assez sympathique mais très populaire en moé, toé et roé, qui ressemblerait peu ou prou à la prononciation que mon ami Stephane, fier d'avoir grandit dans le quartier populaire de Saint Henri à Montréal, a encore parfois!

- Toujours ce bon Stephane, qui pendant près d'une année, a tenté de m'inculquer le a québécois. Il ressemble plus à un o fermé et bas. Une phrase telle que "moi, je te dis" devient (avec le phénomène des emphases sur les pronoms personnels) "moé-lô, chte dzi".
Ah ah, que vous avez l'air drôles à tenter de le dire! Je ne vous répète pas ces mots pour vous ouvrir la porte de l'accent québécois. Je vous permets d'avoir les clés pour le comprendre!

Vocabulaire:

On retrouve dans le vocabulaire québécois plusieurs sources d'influence qui lui donne ses belles lettres de noblesse: les archaïsmes, les anglicismes (purs, traduits ou naturalisés par la prononciations, les emprunts syntaxiques), les québécismes (néologismes propres à décrire la réalité particulière du Québec) et les apports des langues autochtones (souvent liés à la nature). Dans certaines régions, on trouvera également des influences acadiennes.
D'autres phénomènes existent tels que ce que Narriman appelerait "les mots travestis". Commençons par le début:

- Archaïsmes:
Ce sont en général des mots qui étaient en usage en France au XVI-XVIIe siècle que le jacobinisme et les normes de la bourgeoisie de la Révolution Française ont contribué à faire tombé en désuétude (plus employés quoi!).
Outre les formes de conjugaison telles que aller 1ere pers. sing. au présent simple "j'vas" ou la conjugaison de croire au présent en "j'crés, tsu crés, i cré" (il et elle devient en bon gros joual- c'est à dire en bon gros langage populaire- i et a), on trouve également des mots qui n'ont parfois plus aujourd'hui court en France et qui sont pourtant tout à fait à date ici:

un char -- une voiture
un chandail -- un pull
une chandelle -- une bougie
jaser -- parler, discuter
s'en venir -- devenir
les vidanges -- les ordures
embarrer -- enfermer
parlure -- manière de parler, vocabulaire parfois
cogner, toquer -- frapper
tantôt -- bientôt, tout à l'heure (dans le passé ou le futur!)
mitaines -- gants ou mouffles
boucaner/boucane -- (en)fumer/fumée
débarrer -- ouvrir
astheure -- à cette heure arch. astüre

- Anglicismes:
Ces termes ont souvent été introduits par le commerce ou l'industrie et la longue fréquentation forcée des francophones dans le milieu du travail avec les termes et expressions sans équivalents (encore) en langue française (notamment dans le domaine des mécaniques!).

bye -- au revoir
oakie dou -- d'accord
c'est l'fun -- c'est chouette, c'est drôle, c'est amusant
c'est cute -- c'est mignon
la toune -- la chanson (ang. tune)
le tip -- le pourboire
la napkin -- la serviette (en papier) (ang. napkin)
le trimp -- voyou, ivrogne (ang. tramp - jamais entendu encore !)
le sink -- évier (ang. sink)
le chum -- l'ami, le petit ami
le coat -- le manteau
la joke -- la blague
la break -- la pause
splitter -- partager, séparer, fendre
avoir un flat -- avoir une crevaison (un pneu flat - à plat quoi !)
toffe -- dur, difficile (ang. tough)

Parfois, ce sont des traductions presque littérales de l'anglais que l'on rencontre telles que:

bienvenue -- de rien (ang. you're welcome!)
liqueur (douce) -- des boissons sans alcool type soda (ang. soft drinks)
centre d'achat -- centre commercial (ang. shopping centre)
assiette froide -- assiette anglaise (ang. cold cut platter)
crème glacée (molle) -- glace (italienne) (ang. ice cream)
magasiner -- faire des courses, du shopping (ang. to shop)
surtemps -- heures supplémentaires (ang. overtime)
tanker -- remplir, faire le plein (d'essence) (ang. tank réservoir)
caller -- appeler
le thipot -- le pot à thé, la théière (ang. tea pot)
le suit -- le costume
être slow bine -- être lent

Mais les meilleures pour moi restent ce que Assimil appellent des naturalisations phonétiques!

bécosses -- toilettes initialement extérieures (ang. back-house)
slaque -- relâché, relaxé (ang. slack)
paparmane/poporman (dixit JF aux iles de la Madeleine) -- pastilles de menthe (ang. peppermint)
la clotche -- embrayage (ang. clutch)
souompe -- marécage, marécageux (ang. swamp)

Dans les influences de l'anglais on trouve enfin une dernière catégorie: les emprunts syntaxiques, c'est à dire la tendance à formuler les phrases sur le calque anglais tel que "la fille que je sors" pour "the girl (that) I go out with".

- Québécismes:
Ce sont des innovations lexicales rendues nécessaires pour pouvoir exprimer les réalités du Québec.

un bleuet -- une espèce de grosse myrtille, spécialité du Saguenay, Lac St Jean - on appelle parfois aussi les saguenéens des "bleuets grandeur nature" mais à confirmer avec Cocottes.
une bleuetière -- un champ de bleuet
une bibitte -- insecte
une tabagie -- un (marchand de) tabac
un dépanneur -- certains diraient "le rebeu du coin" (hein Anna!), d'autres un "Seven Eleven 7/11) (hein capt. Boon!), tout simplement une épicerie où on trouve presque de tout et qui est ouvert presque 24h/24.
un traversier -- un ferryboat, un bac
un orignal -- l'élan d'Amérique du Nord
une blonde -- une petite amie
une molle -- une bière (jamais entendu!)
fret(te) - froid (en hiver, i fait fret/frette)
une balayeuse -- aspirateur

- Autochtonismes:
De même que pour les québécismes, il s'agissait de trouver des termes pour exprimer des réalités inconnues en Europe. Les premiers colons français ayant eu de nombreux rapports et contacts avec les premières nations, l'influence lexicale a donné aux québécois des termes souvent topographiques, fauniques ou floraux:

Québec -- là ou le fleuve rétrécit (kebbek ou kebekk)
Canada -- habitation, colonie, village (?) (Kanada)
Abitibi, Chibougamau, Gaspé, Magog -- noms de villes
un ouananiche -- saumon d'eau douce
un ouaouaron -- gros crapeau (je crois que en anglais c'est un bullfrog, à confirmer)
un ouapiti -- wapiti
une ouache -- quartier d'hiver
tépi -- tipi
un machecouèche -- un raton laveur (surtout dans les zones acadiennes)

- Acadianismes:
Dans les régions francophones du Nouveau-Brunswick, les Iles de la Madeleine et les autres rivages qui virent les acadiens, on trouve des influences syntaxiques ou de prononciation typiquement issues de ce peuple.
Ainsi, l'auteur nous explique en premier lieu que le son [k] (coeu, cu, que, qu) se prononce parfois [tch]. Coeur devenant alors "tcheur". Les sons [ti] et tié subissent la même transformation en tchi et tchié. La pitié devient donc la pitchié. Honnêtement, j'ai entendu des acadiens du Nouveau-Brunswick lors de la veillée mortuaire de l'oncle de JF (c'était un Turbide du Nouveau-Brunswick, la famille Turbide étant une vieille famille acadienne dont on retrouve les traces avant le grand dérangement de 1755 dans les registres paroissiaux acadiens) et je ne saurais dire s'ils parlaient vraiment comme ceci. J'ai plus été "impressionnée" par les termes anglophones et francophones qui se téléscopaient vraiment:
Une soeur de la veuve et tante de JF racontait une histoire que sa soeur avait vécu en arrivant au Nouveau-Brunswick peu de temps après son heureux mariage avec un acadien. Elle rencontre alors une fille qui la regarde et lui dit "T'as une belle skirt, a aime la way qu'a héng"... Essayer de deviner, je vous donne la réponse à la fin de l'article.
D'autres mots acadiens?

l'aïde/ayide -- l'aide
amounetter -- cajoler, calmer, caresser, dorloter un enfant
le bonhomme cavèche -- une marmotte ! J'adore!
brocher -- tricoter
le burgau/borgot -- klaxon, avertisseur
être cagou -- être triste
la chacote -- dispute
la cravate -- une écharper (un foulard en québécois :p)
le galopeur de femmes -- est-ce vraiment utile de le dire? Oui? bon un coureur de jupons!
la gorlèze -- la putain, la marie-couche-toi-là, la fille facile quoi!
le madouesse - le hérisson (excellent aussi :p)
le margout/margot -- le fou de bassan (un oiseau)
le tet -- le toit

- Les mots travestis.
Ce terme n'a rien d'officiel et Assimil n'en parle presque pas. Pourtant, Narriman, l'auteure de ce néologisme fort sympathique, l'a remarqué autant que moi, il y a de nombreux mots ici au Québec qui n'ont pas le même genre que là-bas en France. Outre les fautes qui font dire à certains "une avion" au lieu d'un avion, d'autres sont pourtant explicables:

aller à la gym en France -- aller au gym(nase) au Québec
gagner au loto -- gagner à la loto (loterie) bien que je ne l'ai pas encore entendu, je suppose que cela doit être cela.

Voici pour la première partie de ce passionant voyage dans la parlure québécoise. La neige s'en venant maintenant, j'aurai le loisir à plusieurs reprises de vous faire part des termes propres à cette fantasmagorique saison, telle que la bordée, la poudrerie, l'habit de neige, la tuque etc!

Réponse à : "T'as une belle skirt, a aime la way qu'a héng"
Tu as une belle robe (ang. skirt), j'aime la façon/la manière (ang. way) qu'elle tombe ( ang. to hang pendre).